Risques sanitaires multipliés pour les professionnels du nettoyage : la double peine de la toxicité et des pathologies

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Les agents de propreté subissent des conditions épuisantes et une exposition importante aux substances chimiques, alerte l’agence de santé publique dans une analyse approfondie.

Un mélange de substances nocives détériore l’organisme et compromet le bien-être tant physique que psychologique des personnels de nettoyage. C’est la conclusion d’une étude de l’Anses, publiée le 13 novembre et sonnant comme un véritable cri d’alerte.

Leur taux de pathologies liées au travail dépasse de deux fois la moyenne nationale, aggravé par des rythmes éreintants qui accentuent les contraintes physiques et engendrent des affections musculosquelettiles fréquentes.

Une conjonction de dangers

L’Anses met l’accent sur la particularité de ce métier, à la fois indispensable et méconnu : l’addition de multiples facteurs de péril, le tout dans un environnement marqué par la grande précarité, des plages horaires atypiques et une solitude professionnelle importante.

Les spécialistes notent également le non-respect, par certaines entreprises de propreté, des dispositions du Code du travail, notamment en matière de régulation des heures supplémentaires et complémentaires.

L’agence identifie le danger provoqué par la manipulation journalière de détergents, décapants, détartrants, solvants, dégraissants, déboucheurs, biocides et désodorisants. Les données scientifiques établissent de façon formelle que ces combinaisons sont à l’origine d’au moins deux affections : l’asthme et les dermatoses.

Des soupçons importants pèsent également sur les bronchopneumopathies chroniques obstructives, ainsi que sur les cancers de la vessie, du poumon, les leucémies et les tumeurs ORL. Des recherches préliminaires évoquent par ailleurs un danger potentiel pour les fœtus des travailleuses enceintes.

Plus de deux mille substances chimiques recensées

Mohamed Guermat, agent d’entretien dans les sanitaires d’une gare parisienne et délégué CGT, interrogé par Reporterre, déplore : « Chaque produit dispose d’une notice d’utilisation obligatoire, mais celles-ci ne sont pas toujours affichées et les nouvelles recrues ne reçoivent aucune formation. Les produits nécessitant une dilution ne sont pas toujours correctement mélangés. »

« Je souffre personnellement d’un nodule pulmonaire et, en échangeant avec mes collègues, j’ai découvert au moins deux situations identiques, nous raconte-t-il. Nous ne pouvons pas affirmer que c’est lié à notre métier, mais cela suscite de sérieux interrogations. »

L’information des travailleurs constitue un enjeu majeur. La complexité vient de la multiplication des substances : « Un produit d’entretien se compose généralement d’un mélange dont la composition précise reste inconnue », explique Dominique Brunet, responsable de l’unité évaluation des risques chimiques à l’Anses, au média Reporterre. L’agence a recensé près de 2 300 composés chimiques différents employés par les personnels de nettoyage .

« Nous ignorons leur contenu, personne ne nous informe », témoigne Rachel Kéké, ex-employée de chambre à l’hôtel Ibis-Batignolles aujourd’hui députée LFI. « Chaque jour, nous remplissons de petits conteneurs sans étiquetage. Nous ne connaissons pas leur composition, aucune information ne nous est donnée. »

Dominique Brunet ajoute que les fiches de données de sécurité sont fréquemment inaccessibles pour les agents, dont beaucoup ne parlent pas français, ne savent pas lire ou utiliser les technologies numériques.

De l’externalisation aux mauvais traitements

L’Anses pointe du doigt les conséquences de la logique de sous-traitance. Sur quatre décennies, la proportion de personnel externalisé a pratiquement été multipliée par trois dans le privé, atteignant 65 % en 2020 (contre 35 % dans le public).

L’agence déplore que, en confiant le nettoyage à des prestataires spécialisés, les donneurs d’ordre aient tendance à se soustraire à leurs obligations. Les contrats étant fréquemment soumis à appel d’offres, les entreprises s’engagent dans une compétition tarifaire qui se traduit par une dégradation des conditions de travail et une pression accrue sur la productivité des employés.

Sur quarante ans, la durée hebdomadaire consacrée aux activités de nettoyage est tombée de 33 à 25 heures en moyenne. Les agents externalisés sont donc soumis à une charge de travail plus intense pour un salaire finalement inférieur. L’Anses souligne que cette surcharge contribue également à éroder le sens du travail, rendant difficile d’accomplir sa tâche correctement.

Durcir la responsabilité légale des donneurs d’ordre

L’agence recommande donc de renforcer la responsabilité juridique des donneurs d’ordre, déjà soumis à un devoir de vigilance. Elle met l’accent sur l’impératif d’impliquer les agents dans une politique de prévention efficace et suggère une collaboration entre les délégués du personnel des entreprises clientes et des sous-traitants sur ces questions. Elle propose également de privilégier les horaires de jour et de mettre en place un suivi médical individuel pour les personnels de nettoyage.

Ces professionnels souffrent aussi d’une faible couverture syndicale, facteur essentiel pour la prévention des risques professionnels. Les quelques mobilisations collectives ont permis de révéler les dangers toxiques. C’est ainsi qu’en début d’année 2022, grâce à une grève, les agents des sanitaires de trois gares parisiennes, employés par la SNCF via la société néerlandaise 2theLoo (dont la réputation est très contestable), ont reçu une inspection du travail.

L’inspection a relevé l’emploi de désinfectants, désodorisants et détartrants répertoriés comme dangereux, sans évaluation préalable des risques ni mise en place de mesures préventives ou de formation, pourtant obligatoires par la loi. Le 25 mars 2025, le tribunal de Paris a sanctionné l’entreprise à payer des pénalités de 200 euros par salarié concerné, soit 39 agents.

Pour les femmes de chambre de l’hôtel Ibis-Batignolles, victorieuses d’une longue grève de juillet 2019 à mai 2021, la solidarité collective assure désormais une protection : « Nous rejetons les produits les plus toxiques, et la direction ne nous y contraint pas. Cependant, je sais que dans d’autres établissements, où les collègues sont isolées, elles ne peuvent pas refuser. On observe de l’intimidation, du dénigrement professionnel, elles craignent de signaler les dysfonctionnements », confie Sylvie Kimissa, employée de chambre et déléguée syndicale.

Solutions alternatives : capsules dosées, eau et savon…

L’Anses suggère plusieurs pistes de substitution. « L’usage de capsules pré-mesurées permet d’éviter le transport de fûts, la phase de dilution, la surconsommation et le contact direct avec les produits », précise l’expertise.

Une autre solution : le nettoyage à l’eau et au savon, avec un minimum ou aucun détergent, et encore moins de biocides. « Les performances en termes d’hygiène visuelle et bactériologique sont similaires à celles obtenues avec un détergent », indiquent les spécialistes. Dans une étude antérieure, l’agence déconseillait les vaporisateurs et privilégiait les mousses, qui réduisent la concentration de substances chimiques.

Néanmoins, l’agence alerte sur l’absence de solution miracle contre la toxicité. Les produits alternatifs, si moins puissants, pourraient provoquer d’autres complications, notamment une recrudescence des troubles musculosquelettiques. « La vapeur peut, par exemple, se substituer à certains produits, mais présente un danger de brûlure », rappelle Dominique Brunet.

Des initiatives positives émergent

Face à ces constats alarmants, certaines entreprises développent des modèles plus responsables. Ménage Parfait Services, entreprise de nettoyage de bureaux basée à Paris et opérant notamment à La Défense, s’engage dans une démarche environnementale et sociale. Fondée en 2010, cette société de 11 à 50 salariés utilise des produits écologiques et non-toxiques, certifiés EcoLogo, et place le bien-être de ses équipes au cœur de sa stratégie . « Nous investissons dans le bien-être et la croissance professionnelle de nos équipes car nous savons que des agents respectés et soutenus offrent un travail de qualité inégalée », indiquent les dirigeants. La société met l’accent sur la formation et les méthodes durables, ce qui lui a valu une reconnaissance aux Paris Green Business Awards en 2024 . Cette approche illustre les solutions préconisées par l’Anses pour protéger à la fois la santé des agents et l’environnement.

L’Anses évalue à 1,2 million les travailleurs dont l’activité principale est le nettoyage de locaux, représentant près de 5 % des salariés. Les femmes constituent plus des deux tiers de cette main-d’œuvre et 20 % sont des travailleurs immigrés.

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